Hafid et à sang !, par Noureddine Miftah
M. le Haut-Commissaire à l’Administration pénitentiaire est un champion d’adaptation et un as de la longévité ; il détient le record toutes catégories du temps passé à la sécurité ; il est aujourd’hui tenu pour être celui qui s’est maintenu sous le plus grand nombre de gouvernements. Tant mieux pour lui, longue vie et excellente santé… mais il nous importe maintenant de causer un peu avec M. Benhachem, tant il est vrai que le secteur qu’il dirige est aujourd’hui sous les feux de la rampe.
Et si nous devons avoir une raison de discuter de cela, elle nous est apportée par ce mois sacré de ramadan qui nous conduit à nous interroger au sujet de ceux-là parmi nos compatriotes qui sont détenus et qui endurent une double peine, celle de la privation de liberté, en plus de celle de subir cette privation en des lieux qui privent aussi l’humain de son humanité. Aussi, pour ceux qui ont été victimes d’injustice, nous prions pour qu’ils soient rétablis dans leurs droits ; à ceux qui ont commis une ou plusieurs lourdes erreurs, nous leur souhaitons de purger leur peine puis de tourner la page en passant à autre chose ; quant à ceux qui doivent rester là où ils se trouvent, nous demandons qu’ils puissent bénéficier de leurs pleins droits que leur confèrent leur constitution et leurs lois… ce qui est loin d’être le cas jusqu’à présent. Dans l’intervalle, bon ramadan à tous.
Ssi Hafid Benhachem règne aujourd’hui sur une petite population de 60.000 personnes environ. Or, depuis le jour de sa prise de fonctions, le 30 avril 2008, à aujourd’hui, le bilan est catastrophique… ce qui est au demeurant fort logique, partant du principe que de même que l’on ne peut cueillir des carottes quand on sème des graines de tomates, on ne peut semer Benhachem et attendre de voir se concrétiser une certaine dignité pour ses prisonniers pensionnaires d’établissements de rééducation et de réinsertion. La chose est en effet impossible depuis le début, et pour le savoir, il n’était pas besoin de rédiger un rapport d’une commission parlementaire qui, en visite à la prison d’Oukacha, n’aura pu dévoiler qu’une partie infime des atrocités commises dans ces établissements de vengeance et de totale annihilation de toute forme de dignité humaine. Et cela est également le cas de la prison d’Outita que, voilà quelques années, nous avions affublé du sobriquet d’Outitanamo, en référence à ce bagne américain si cher au tortionnaires, Guantanamo, valable aussi pour la prison de Laâyoune ou pour n’importe quel autre pénitencier où le détenu ne dispose que d’un mètre carré comme espace vital, autant que dans une tombe où l’espace n’est plus vital… où le prisonnier est nourri pour à peine 5 DH par jour… où, où… ce ne sont là que de menus exemples d’un chemin de croix pour ceux qui l’empruntent et qui semblent devoir répondre à cet adage qui veut que l’ « on fait le deuil de ceux qui y pénètrent, et on fête la renaissance de ceux qui en ressortent ».
Le sieur Benhachem a aujourd’hui 80 ans, dont il a passé une grande partie dans la tambouille de l’Intérieur ancienne version ; il a gravi successivement les différents échelons dans la sûreté puis, dès les années 70, il s’est mis à monter dans la hiérarchie de l’administration centrale de la mère de tous les ministères, du temps de Driss Basri, pour devenir gouverneur, puis directeur général de la Sûreté nationale, entre 1997 et 2003, année où il a reflué précipitamment, attendant que l’histoire et les histoires n’établissent ses responsabilités dans les années de plomb.
Et puis, en 2008, il s’est produit une chose que Ssi Benhachem n’aurait jamais imaginée pouvoir survenir un jour, un évènement qui l’a tiré de sa retraite et l’a remis sous les feux de la rampe et sur le devant de la scène. Cette année, en effet, il est arrivé que neuf détenus à la prison de Kenitra, appartenant à la Salafiya al jihadia, ont entrepris et réussi une incroyable évasion collective, après avoir creusé un tunnel de plusieurs dizaines de mètres qui leur avait permis de prendre la poudre d’escampette dans ce qui a été ensuite qualifié de « grande évasion ». Cela se produisit le 8 avril 2008… et trois semaines plus tard, l’Etat avait répondu à cette « humiliation » en brandissant la carte Benhachem. A cette époque, on pensait alors à extraire l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice pour la rattacher à celui de l’Intérieur, mais cela s’était révélé très coûteux pour l’image du régime ; alors on a avait eu recours à une ficelle pour maintenir la contrainte sécuritaire tout en l’enrobant d’un vernis d’élégance… on avait alors effectivement distrait cette administration du ministère de la Justice qui était alors dirigé par Abdelouahed Radi, puis on avait créé un Haut-commissariat à l’administration pénitentiaire, relevant officiellement et formellement de la Primature, mais dépendant de lui-même et indépendant dans la réalité. Et depuis, c’était la politique du bâton et des gros sabots, avec les pleins pouvoirs attribués à ce produit de l’école Driss Basri, M. Hafid Benhachem.
Voilà donc comment sont nées les choses, tout le reste n’étant que détails… Mais il est arrivé un petit détail précisément au milieu de toutes ces certitudes, un détail qui allait redonner à toute la question un semblant de sérieux : ainsi, entre la date de la nomination de Hafid Benhachem à la tête de l’administration pénitentiaire et celle du rapport parlementaire sur la prison d’Oukacha, avec son cortège de pourritures et ses récits sur les manquements moraux et réglementaires, il s’est produit ce qu’on a appelé le printemps marocain, on a adopté une nouvelle constitution qui s’est installée sur les vestiges d’un ordre sécuritaire abruptement avorté, abattu en plein vol et, enfin, on a assisté à la formation d’un nouveau gouvernement avec lequel M. Benhachem essaie de s’adapter et auquel il tente de s’acclimater, du haut de ses 80 printemps.
Ce qui nous a conduit à rappeler tout le parcours hafidien est que notre homme n’a absolument pas compris que le Maroc avait changé, qu’il persiste à proférer les mêmes mensonges que ceux des années de plomb, toute honte bue… et le voilà qui parcourt le parlement, qui arpente ses couloirs, qui s’installe aux côtes de Driss Yazami au Conseil national des droits de l’Homme, qui nous assène ses vérités et nous donne des leçons en matière de détentions et de droits humains, endossant les habits empruntés et qui ne lui vont pas du héros, en admettant les manquements enregistrés dans ses établissements pénitentiaires, assurant qu’il sévirait contre les responsables mais omettant le fait que c’est lui, le principal responsable et qu’à ce titre, c’est lui qui doit être puni, et oubliant qu’il n’est pas l’homme de cette époque que nous vivons, qu’il ne ressemble guère au modèle recherché aujourd’hui du fait qu’il est la copie conforme du passé, sa survivance, son prolongement dans le présent. Aussi, un tel homme fait-il vraiment honneur à la seconde monarchie, et cette monarchie a-t-elle véritablement besoin que M. Benhachem compte encore parmi ses responsables ?
Il appartient aujourd’hui à M. Abdelilah Benkirane de prendre à bras le corps la réforme radicale de ce secteur où la dignité humaine est bafouée et où sont entrepris des crimes contre l’humanité, et contre les détenus. M. Benkirane est responsable de tout cela, il endosse une grave, très grave responsabilité. Il ne s’agit pas là d’une simple affaire de dialogue national que l’on confierait au ministre des Relations avec le parlement, mais d’un dossier dans lequel des milliers de nos compatriotes se sont brûlés ; il importe que cela soit le début de la fin de ces symboles du passé, avec le retour de l’administration pénitentiaire à la place qui est la sienne. Il faut entreprendre une politique publique pour une gestion efficiente du domaine carcéral et pénitentiaire qui demeure la vitrine de notre société, sachant que nous sommes tous prisonniers de ces dysfonctionnements, mais que nous aspirons tous aux réformes requises, et y croyons.