Enfants en prison : Cas de force mineurs
L’écrasante majorité d’entre eux
vient de milieux très défavorisés |
Au moins 5500 mineurs sont en prison au Maroc. Un vaste chantier, centré sur la réinsertion, est lancé pour changer des
conditions encore scandaleuses, il y a quelques années. Bilan provisoire. Par Cerise
Maréchaud Jeunes adultes, adolescents, enfants. Ils représentent 10 à 12% de la population carcérale du pays, selon l’Observatoire marocain des prisons (OMP), qui évalue à environ 55.000 le nombre total de prisonniers au Maroc. Qui sont-ils, où sont-ils incarcérés, dans quelles conditions, dans quel but ? Des questions simples pour soulever un problème douloureux et |
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complexe. Parler de "mineurs en prison", c’est déjà leur reconnaître un statut hautement spécifique, car s’ils ne sont pas tous
irresponsables, ils sont en tout état de cause, vulnérables. C’est exiger une attention qui soit à cette hauteur-là, au nom de leur avenir en société. Ils sont donc plus de 5500 mineurs privés de liberté à l’heure actuelle. Les cas sérieux, voire graves existent, c’est certain. Mais pour nombre d’entre eux, c’est la "délinquance", au sens très large, qui les y a menés. Mendicité, "débauche" (prostitution), vagabondage, vols à la sauvette et drogue sont autant de délits susceptibles d’envoyer des jeunes, déjà défavorisés, derrière les barreaux. L’âge est le principal critère de prise en charge d’un jeune en conflit avec la loi. Théoriquement, la majorité pénale est désormais de 18 ans, et un mineur de moins de 12 ans révolus ne peut, même provisoirement, être placé dans un établissement pénitentiaire. Ainsi plusieurs catégories de centres existent : les Centres de sauvegarde de l’enfance (CSE), 16 au Maroc dont 2 pour filles, sous la tutelle du département de la Jeunesse - ils ne sont pas considérés comme établissements pénitentiaires et les jeunes (environ 1000, de 7 à 18 ans) y sont non pas des détenus mais des "pensionnaires" ; les centres pénitentiaires, où sont incarcérés les adolescents et les jeunes adultes, dépendent du ministère de la Justice et comptent 3 Centres de réforme et d’éducation (CRE) - à Aïn Sebaa, Settat et Salé -, quelques centres agricoles et une kyrielle de prisons locales. Un panorama dans lequel cohabitent des situations très divergentes. S’il est difficile d’en évaluer le nombre, beaucoup de mineurs sont donc incarcérés dans des prisons non spécifiques. Or, comme le crient inlassablement nombreux défenseurs des droits de l’homme, l’univers pénitencier au Maroc brille par sa précarité : surpeuplement, état sanitaire très insuffisant, locaux menaçant ruine, insécurité ambiante, carences de personnels. Certes, la loi impose qu’ils soient strictement maintenus à l’écart des adultes, mais tel n’est pas toujours le cas, comme l’a déjà dénoncé la Commission d’observation et de suivi de l’OMP, faisant état en 2001 de "violences, d’abus sexuels et de viols". Ce sont d’ailleurs les cris d’alarme répétés de plusieurs organismes des droits de l’homme qui ont permis l’amorce d’un tournant, dès 1999, à commencer par quelques réformes clé (administration pénitentiaire, code pénal et code de procédure pénale, code de la famille). Globalement, une amélioration de la protection des mineurs en conflit avec la loi est incontestable. La création de la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus a eu un rôle capital dans ce changement, via un programme pilote efficace (2002-2005), centré notamment sur la formation socioprofessionnelle des mineurs. Mais la vraie révolution se situe ailleurs : dans le rôle primordial reconnu par la fondation à la société civile (associations, secteur privé…), pour contribuer à humaniser l’univers carcéral des mineurs. En d’autres termes, relayer, appuyer le mouvement de réforme qu’elle a elle-même insufflé. Aujourd’hui, la tâche n’est plus titanesque, mais reste un défi de taille, face à des écueils qui ne peuvent pas disparaître en une poignée d’années : précarité des jeunes détenus dans des prisons lambda et non adaptées ; cas de violences sur mineurs pendant l’arrestation ou la détention ; conditions sanitaires et médicales encore insuffisantes ; manque quantitatif et qualitatif d’un personnel spécialisé à peine reconnu et payé une misère (2000 DH) ; absence persistante d’une véritable culture de la justice juvénile. À l’aune du travail accompli, énorme est l’attente de voir un projet pilote exemplaire se muer en politique juridique et sociale de fond et surtout, qui touche chaque mineur privé de liberté. Le temps est nécessaire, indéniablement. Les résultats sont, eux, indispensables. Jeunes cherchent justice juvénile Adepte repentie de l’école buissonnière, la justice marocaine rattrape son retard en législation des mineurs. Un sursaut efficace, mais des lacunes demeurent. Le Code de procédure pénale (CPP) et le Code pénal (CP) qui dictent la décision de justice concernant le jeune en conflit avec la loi ont été récemment réformés. Rappelons en effet que le Maroc a adhéré aux principales conventions internationales relatives à l’enfance, à commencer par celle des Nations unies sur les droits de l’enfant, ratifiée en 1993, ainsi qu’aux Règles de Beijing sur l’administration de la justice pour mineurs. Mais, comme l’explique le travail de Me Ahmed Chaouqui Benyoub sur la justice juvénile au Maroc, une entreprise concrète de son harmonisation avec ces principes fondamentaux n’a commencé à faire ses preuves qu’il y a peu, sous la pression et les appels réitérés par de nombreux juristes, spécialistes et défenseurs des droits de l’homme et de l’enfant. Avant 2002, aucune règle juridique spécifique au jugement des mineurs n’apparaissait dans le CPP et certaines garanties fondamentales souffraient d’un vide juridique notoire. Au cours de ces dernières années, des avancées ont été franchies, motivées par le devoir d’harmonisation juridique, comme le rappelle Assia El Ouadie, responsable des 3 centres de réformes du pays (lire interview). Cependant, une politique globale et rationnelle de la justice pour mineurs demeure tâtonnante. L’application des peines montre un décalage persistant. Les textes internationaux font de la privation de liberté une mesure de dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible, en insistant sur la présomption d’innocence et la proportionnalité des peines. Or dans les faits, la justice juvénile marocaine trahit de nombreuses incohérences. "En Hollande, un jeune qui commet un délit a le choix entre suivre des cours de civisme fixés par un magistrat dans un centre ou aller en prison. S’il est assidu, il est libre. Ici au Maroc, j’ai vu un gamin de 14 ans prendre 6 mois pour vol, des jeunes détenus risquant des rallongements de peine pour un malheureux bout de shit, c’est aberrant", déplore cet avocat, qui a de nombreuses fois plaidé au nom de jeunes récidivistes pendant leur détention. "Malgré les réformes officielles, c’est une justice bâclée qui expédie des procès en 120 secondes, pour des gamins qui n’ont pas d’avocat. L’écrasante majorité d’entre eux vient de milieux très défavorisés. Et aucun avocat ici n’est véritablement formé pour cette justice là". Une observatrice rappelle également que depuis trop longtemps traîne au Parlement un projet de loi afin que ne soient plus passibles de peine les "petits délits" : "Je pense aux gamins obligés de vendre des bricoles dans la rue pour survivre, à ces petites bonnes foutues à la porte par leur patron une fois mises enceintes. Cela ferait une vraie différence. À la place, aujourd’hui, une fillette croisée dans la rue passées 22 heures peut être condamnée pour prostitution, de même pour un enfant de 8 ans pris pour vol à la sauvette, sans que leurs parents ne sachent où ils sont, c’est scandaleux". Les progrès accomplis témoignent aujourd’hui d’une meilleure compréhension de la mission carcérale, celle de réparer, de rééduquer, de réinsérer. Mais manque toujours, en amont, un effort de rationalisation : où commence, où s’arrête le délit chez un enfant ? À méditer. |
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Reportage : La prison
éducative
"Mama Assia" rend visite
aux jeunes détenus |
Décollage réussi pour le centre pilote de réforme et d’éducation de Casablanca, où se concentrent un millier de jeunes et
quelques espoirs. Un modèle qui reste néanmoins à étendre. 10 heures. Une grande porte métallique s’ouvre et se ferme furtivement au gré d’un gardien, dont le sourire tranquille adoucit l’uniforme. Dehors, des familles patientent : mères aux yeux rivés sur chaque entrebâillement, pères aux bras croisés, balançant du pied pensivement. Attendant une sortie, probablement. Car mercredi n’est pas jour de visite. Sauf pour cette invitée particulière, Assia El Ouadie - membre de la |
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Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus - dont l’arrivée vient bousculer la routine du quotidien. Amassés par dizaines le
long d’un profond couloir gris clair, les jeunes détenus attendaient dans une relative quiétude la visite médicale. Sur les murs sont peintes en arabe les grandes lignes du règlement
intérieur, plus quelques mots personnels. Ils sont maintenant attroupés autour de la petite silhouette. Le journaliste d’une chaîne locale semble se régaler de cette ferveur inattendue de
la part de ces ados venus accueillir une "mama Assia" fendant la foule, l’émotion crispée sur le visage. Sollicitée de toutes parts, elle les reconnaît pourtant un à un, ces "enfants" qui
se détachent des copains pour l’embrasser sur le front. La pause bat son plein à Aïn Sebaa, où les détenus vont et viennent, cigarette à la main, comme feraient les couche-tard d’un
internat lambda. Bâti en 1999 sur un terrain voisin de la prison pour adultes de Oukacha, le centre de réforme et d’éducation de Aïn Sebaa accueille à lui seul, à raison d’environ 2m2 chacun, un peu plus de 1000 détenus âgés de 14 à 22 ans. Mais près de 80% d’entre eux ont plus de 18 ans, et beaucoup viennent directement des centres de sauvegarde. Plus de la moitié de ces ados n’ont pas dépassé l’école primaire et savent à peine lire et écrire. Vol, vente de drogue, coups et blessures, alcool, mendicité, prostitution, "incitation à la débauche", viol, meurtre. Les raisons de leur présence sont variées. Les cas graves existent, mais demeurent les plus rares. Dans ce cas, les peines sont longues, très longues. 10 ans, 15 ans, et plus. Selon la minutieuse banque de données du centre, 20% des jeunes sont là pour au moins un an. Et plus de la moitié ne reçoivent pas ou plus de visites, coûteuses pour de nombreuses familles habitant loin et parfois désespérées face aux immanquables récidives. Derrière les barreaux de certaines cellules, presque des chambres d’ados, version collective. Des détenus s’affairent au ménage des dortoirs à grandes coulées d’eau grise, d’autres sont en cuisine. L’ambiance est vierge d’agressivité. Assia El Ouadie poursuit son tour de garde et guide son cortège d’observateurs vers le réfectoire construit par la Fondation Mohammed VI. Les repas se prenaient jusqu’alors… à même le sol des dortoirs ou des couloirs. Au cœur du projet pilote de la fondation, le centre d’Aïn Sebaa est privilégié. Preuve en est : le tout récent centre de formation professionnelle inauguré par le roi en octobre 2003. Passés la "serre pédagogique" et le terrain de sport, des locaux impeccables accueillent près de 270 "stagiaires" qui bénéficient d’une formation dans l’une des 13 filières techniques proposées. Le directeur pédagogique, Driss Herradi, est membre de l’Association des amis des centres et représente l’Office de la formation professionnelle qui parraine l’opération : "Lors des entretiens, le niveau scolaire n’est pas pris en compte. L’objectif est d’apprendre un métier, des gestes. Surtout pour les détenus qui sortent bientôt. Ils sont privilégiés, mais participent aussi à la motivation des autres". Dans un vacarme métallique, un stagiaire chargé de remplacer le formateur absent est tiraillé par ce décalage : "Quand je rentre en prison, c’est un autre monde, je m’y sens maltraité, pas respecté. Mais je sais que j’ai de la chance". |
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