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Prisons. En attendant l’effet Benhachem

Par Majdoulein El Atouabi

Prisons. En attendant l’effet Benhachem

 
Moulay Hafid Benhachem,
délégué général de
l’administration pénitentiaire.
(TNIOUNI)

L’évasion d’un narcotrafiquant de la prison de Zaïo pose à nouveau la question de la gestion des prisons marocaines. Visiblement, la nomination du nouveau patron de l’administration pénitentiaire n’a pas encore produit de résultats…


Une évasion, encore une ! Mimoun Soussi, un narcotrafiquant condamné à une peine de 8 ans de réclusion, a pu s’échapper de la prison de Zaïo, près de Nador, dans l’après-midi du vendredi 23 mai.
Non menotté, escorté par un seul gardien, le détenu quittait le bureau du directeur de la prison, à une centaine de mètres à l’extérieur du pénitencier, lorsque quatre individus encagoulés, armés de machettes et de bombes lacrymogènes, déboulent dans un 4x4. Tétanisé par la surprise, le gardien n’oppose aucune résistance : le narcotrafiquant et ses quatre complices en profitent pour s'éclipser. “Le chef de détention a été aussitôt suspendu, en attendant les conclusions de l'enquête en cours. Mais déjà, il apparaît clairement que Mimoun Soussi profitait d'un traitement de faveur dans la prison de Zaïo. Une prison où, en principe, il n'aurait jamais dû être incarcéré”, nous confie, dubitatif, un responsable de l'administration pénitentiaire. Centre pénitencier agricole, soumis à un régime carcéral allégé, la prison de Zaïo ne devrait en effet accueillir que les prisonniers condamnés à des peines légères ou ceux ayant purgé les trois-quarts de leur peine. Ce qui n'est pas le cas de Soussi, qui venait de boucler sa première année de détention. Par quelle dérogation douteuse le narcotrafiquant a-t-il pu atterrir à Zaïo ? C'est justement cette énigme que tentent actuellement de résoudre les enquêteurs de l'administration pénitentiaire. En attendant, l'opinion publique s'interroge, quant à elle, sur la succession d'évasions dans les prisons marocaines, alors que l'administration pénitentiaire vient de connaître un profond réaménagement.

Évasions en série
L'évasion de Mimoun Soussi rappelle en effet celle, moins mouvementée, mais tout aussi rocambolesque, d'un autre narcotrafiquant : un certain Mohamed Taïeb El Ouazzani, alias El Nene. Celui-ci avait profité d'un réseau de complicités pour s'éclipser de la Prison centrale de Kénitra, en décembre 2007. Elle rappelle également celle, plus récente, survenue dans la nuit du 6 au 7 avril 2008, de neuf détenus salafistes, qui ont quitté le même établissement pénitentiaire via un tunnel d’une trentaine de mètres. Survenues dans un intervalle de temps assez court, ces deux évasions, très médiatisées, ont mis à nu les multiples carences de la gestion des prisons marocaines. Le roi décide alors d’intervenir. Le mardi 29 mai, il convoque au palais de Meknès l'ancien directeur de la Sûreté nationale (DGSN), Moulay Hafid Benhachem, pour le nommer au poste de “délégué général de l'administration pénitentiaire et de la réinsertion”. Lors de cette audience, Mohammed VI le charge de “veiller à assurer la sécurité et la discipline au sein des établissements pénitentiaires et à n'autoriser aucune violation ou transgression des lois”. Aux côtés de Benhachem, le roi désigne Soufiane Ouamrou, un autre gradé de la DGSN, au poste de directeur chargé de la sécurité des détenus, des personnes, des bâtiments et des installations pénitentiaires. Tandis que Mustapha Hilmi, ex-procureur du roi, est nommé directeur chargé de l'action sociale et culturelle au profit des détenus et de leur réinsertion.
La présence de deux anciens de la DGSN dans le nouveau staff dirigeant de l'administration pénitentiaire est aussitôt interprétée comme le signal d'un tour de vis sécuritaire dans les prisons marocaines. Leur passé de “supers-flics” capte tellement l'attention que la principale réforme introduite dans cette administration passe presque inaperçue. “Les médias se sont focalisés sur la personnalité de Hafid Benhachem et son statut d'ancien patron de la DGSN, omettant de s'intéresser à la nature du poste qui lui a été confié”, s'étonne un fonctionnaire du ministère de la Justice. Moulay Hafid Benhachem a été bombardé délégué général de l'administration pénitentiaire. Dans le jargon administratif, ce titre, équivalent à celui de secrétaire d'Etat, implique un profond changement dans le statut juridique de cette administration. “De simple direction rattachée au ministère de la Justice, ce département est devenu une délégation générale, une sorte de Haut commissariat autonome affilié à la primature. C'est une première !”, explique un fonctionnaire de la primature, qui ajoute : “Et c'est le roi qui l'a décidé”.

Une super administration pour les prisons
Entre autres avantages, ce changement de statut dotera l'administration pénitentiaire d'un budget propre, prévu dans la Loi de Finances et voté au Parlement. En tant que département autonome, elle disposera également d'une relative liberté d'action dans la gestion de ses affaires. Mais c'était compter sans Mimoun Soussi. Alors que 8 parmi les 9 fugitifs islamistes sont toujours en fuite, et que l'extradition d'El Nene n'est pas encore acquise, l'évasion de Soussi prend des allures d'affront. Dans la rue, les interrogations se multiplient : comment ce narcotrafiquant a-t-il pu s'évader, alors que l'ensemble des prisons marocaines sont censées avoir renforcé leur dispositif de sécurité, et que l'administration pénitentiaire est désormais chapeautée par un ancien directeur de la DGSN ? “Ce serait injuste d'imputer cette évasion à Hafid Benhachem et ses collaborateurs. Ils n'ont pas encore bouclé un mois de service. L'administration dont ils ont hérité traîne un lourd passif, qui nécessitera beaucoup de temps et de moyens avant d'être liquidé”, rétorque notre source au sein de l'administration pénitentiaire. En attendant le temps et les moyens, la nouvelle équipe est en plein round d'observation. Elle multiplie les rondes d'inspection, souvent à l'improviste, dans certaines prisons marocaines. La dernière en date est celle opérée par Moulay Hafid Benhachem dans la prison de Salé. “Habillé d'un simple jean et d'un T-shirt, il a débarqué en pleine nuit pour inspecter la cellule de Mounir Erramach. Après avoir constaté que ce dernier ne bénéficiait d'aucun traitement de faveur, il est reparti discrètement, comme il était venu”, nous confie un gardien.

À la Prison centrale de Kénitra, Benhachem a aussi ordonné la suspension de quatre fonctionnaires, dont le directeur de la prison, en attendant leur jugement pour négligence dans l'affaire de l'évasion des neuf détenus salafistes. Rien en revanche n'a été entrepris pour l'amélioration des infrastructures de ce pénitencier, tellement vétuste que ses murailles sont devenus friables. “Le seul changement, c'est le renforcement de la surveillance. La plupart des gardiens travaillent désormais 14 heures par jour”, déplore un gardien de cette prison. Et le forcing risque de durer longtemps. Car en l'absence d'un budget supplémentaire, aucune amélioration des infrastructures ou renforcement des effectifs ne pourront êtres envisagés dans l’immédiat. Du moins, pas avant l'adoption d'un nouveau budget dans la prochaine Loi de Finances.
 

Détenus. Mortalité carcérale en hausse

Avec une population carcérale oscillant entre 50 et 60 000 détenus, répartie sur 59 centres de détention, l'administration pénitentiaire marocaine souffre de carences, tant au niveau des infrastructures que celui des ressources humaines. S'y ajoutent d'autres problèmes comme la surpopulation, la violence et la corruption. Et ce sont justement ces maux qui sont remontés en surface depuis quelque temps. Relayées par les médias et des associations comme l'Observatoire marocain des prisons, des informations font état du décès, par homicide, de treize détenus depuis le début de l'année 2008. “De janvier à mai 2008, il y a eu au total 62 décès dans les prisons marocaines. 54 sont des morts naturelles, et seulement 8 peuvent être qualifiés de morts violentes. Sur ces huit cas, trois sont des meurtres, trois des suicides, alors que les deux restants sont des décès plus ou moins accidentels, consécutifs à des automutilations”, rétorque-t-on, statistiques à l'appui, du côté de l'administration pénitentiaire.
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